Si la pratique reste encore très émergente, on évoque de plus en plus l’usage du mobile en tant qu’outil de recueil pour les études. Mais quelle est la portée de cette innovation ? S’agit-il de la prochaine révolution des études marketing, comme le prétendent certains, ou d’une innovation mineure ? Très concrètement, quel est l’apport du mobile, pour quels types d’études ? Ce sont en substance les questions que nous avons posées à Hervé Le Fur, responsable Solutions France d’Harris Interactive, qui nous donne ici son éclairage (…)
Market Research News : On parle de plus en plus des études sur mobile, sans que cela soit toujours bien évident quant aux modalités que cela recouvre. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point ?
Hervé Le Fur : En fait, il y a 3 grandes options de recueil possibles avec le mobile, outre l’usage « voix » naturellement. La première option est celle de l’étude via SMS, selon un mode « ping-pong ». C’est une solution qui a un côté un peu désuet aujourd’hui… Disons que cela constitue encore une solution par défaut, puisqu’on estime encore à 50% la proportion d’équipés mobiles n’accédant par à Internet depuis leur téléphone. La 2ème option est celle qui repose sur l’usage d’une application spécifique téléchargée par l’utilisateur ; elle est donc limitée aux utilisateurs de smartphones qui acceptent/ utilisent le téléchargement d’applications. La 3ème, qui est aujourd’hui la plus prometteuse, est celle du web mobile. Elle consiste à pousser un lien (par email ou SMS) auprès de l’utilisateur qui, d’un simple clic, accède ainsi à une interface de questionnement adapté au terminal mobile. Maintenant les 3 options peuvent coexister puisque le SMS est parfois utilisé pour le premier contact entre le répondant et l’enquête, et que les répondants basculent ensuite en web mobile ou appli.
Pourquoi cette 3ème option est-elle plus prometteuse ?
Je veux dire par là qu’elle s’inscrit dans un usage très large, en comparaison avec l’option de l’application téléchargée qui s’applique davantage dans le cadre de panels d’utilisateurs, invités à répondre à plusieurs enquêtes dans le temps.
Peut-on parler d’une révolution ?
Dans ma vision, la réelle révolution provient de l’usage d’internet dans les études marketing. Je ne perçois donc pas les études sur mobile comme une révolution en tant que telle, mais comme la poursuite de cette révolution internet. C’est donc une évolution plus qu’une révolution, avec l’apport du bénéfice de la mobilité et une augmentation de la disponibilité des répondants, y compris à domicile !
Comment définiriez-vous les avantages clés du mobile en tant que mode de recueil ?
Fondamentalement, le mobile introduit ou renforce la possibilité d’interroger le consommateur sur le vif, en situation. On peut potentiellement interroger tout le monde, en tout lieu, à tout moment. Ces bénéfices, qui sont en d’autres termes ceux de la contextualisation et de l’instantanéité, sont très importants. On connait tous la limite de ces études où l’on interroge le consommateur hors contexte, par exemple sur sa satisfaction par rapport à un point de vente alors que son passage remonte à une semaine ou plus… Par ailleurs, le mobile est disponible pour les répondants quasiment 24h/24, et offre le bénéfice d’être un terminal non partagé et propice donc à des interactions continues (carnet de vie par exemple). Enfin, la qualité et la fiabilité des réponses sur ce mode de recueil sont au rendez-vous. C’est ce que nous avons pu constater lors de la R&D précédent notre petit-déjeuner clients sur la fiabilité des études sur mobiles en Juin dernier.
Les interrogations en sortie de magasin constituent-elles l’application la plus emblématique de ce que l’on peut faire via les mobiles ?
C’est en tout cas une application évidente, avec par extension tout ce qui relève de l’interrogation in situ (profiling, satisfaction…), suite à un évènement comme la fréquentation d’un lieu de consommation, d’un point de vente ou d’un salon par exemple. Mais la palette des usages nous semble très large, très ouverte. Et notamment quel meilleur support que le mobile pour tester des services et produits liées… au mobile : tests d’application, de sites ou de publicités mobiles…
Cela suppose néanmoins que le consommateur réponde à l’invitation à répondre à l’enquête, avec le risque de sur-représenter les extrêmes, et en particulier les individus les plus mécontents ou par extension ceux qui ont un enjeu fort à répondre, non ?
C’est un risque inhérent à la plupart des protocoles d’études. Finalement , ce risque n’existe que si nous ne faisons pas l’effort d’intéresser et d’inciter tout type de consommateur. L’animation / information et les incentives sont les meilleures réponses face à cet enjeu. Nos tests montrent que le mobile a plutôt tendance à faciliter l’accès aux études pour le répondant, avec une grande diversité de profil. Plus globalement, il faut sans doute distinguer deux modalités différentes. Il y a effectivement le mode « Pull » où, selon plein de modalités possibles (un message sur le ticket de caisse, une affichette, , etcétéra) et avec l’usage possible d’ »incentives », on invite les gens à s’exprimer et donc à se connecter. Dans ce cas-là, le questionnement s’intègre dans une forme de dialogue entre le consommateur et la marque, qui fonctionne très bien dans le cas d’une perturbation par exemple. Ce qui est recueilli en l’occurrence, c’est un flux instantané et contextualisé, qui constitue un excellent matériau opérationnel. Mais il y a aussi un second mode, que l’on peut qualifier de push : on « pousse » un lien vers le consommateur sur son mobile pour l’inviter à répondre à un questionnaire. On se retrouve donc dans les conditions du online, mais toujours avec ce bénéfice potentiel de la contextualisation et de l’immédiateté. On peut aller très loin sur ces aspects de contextualisation en utilisant les données de géolocalisation, mais selon un cadre juridique variable selon les pays, avec une juridiction nettement plus favorable aux USA qu’en France par exemple.
Quelles sont les contraintes concernant les questionnaires utilisables sur mobile ? Les questions ouvertes sont-elles envisageables ?
L’a priori veut que l’on utilise des questionnaires relativement courts. Mais les expériences de R&D que nous réalisons montrent que les marges sont assez importantes (si l’on exclut bien sûr les protocoles via SMS). Un questionnaire de 10 minutes fonctionne très bien par exemple, sans décrochage important et avec des résultats tout à fait comparables à ceux obtenus dans le cadre d’un recueil via PC. Le niveau de satisfaction des interviewés (vis à vis de l’enquête) était en tout cas très élevé, avec sans doute un effet de nouveauté qui est un facteur favorable. Ce sont des expériences que nous allons poursuivre, avec des questionnaires encore plus longs, tout cela pour bien analyser les seuils où la déperdition devient trop importante. Bien sûr, Il n’est pas recommandé de faire remplir des grilles, des tableaux. Cela exclut par exemple des études de type bilan d’image fouillé ou une importante Usage et Attitudes. Mais encore une fois, le spectre du possible semble assez large, y compris sur des études de satisfaction par exemple.
Concernant les questions ouvertes, les tests que nous avons effectués sont très intéressants, et vraiment probants, avec des résultats extrêmement proches de ceux que l’on obtient via PC, par exemple sur une étude portant sur les préoccupations des français. Les résultats sont identiques, mais avec deux fois moins de volume de verbatims. Ce qui ne correspond pas à une moindre richesse d’information, mais plutôt à une plus grande concision des interviewés via mobile.
Pour ce qui est des cibles, j’imagine que la variable « équipement » représente une contrainte importante ?
Oui, le profil des mobinautes est équivalent à celui que nous avions sur internet il y a un peu moins de dix ans. Mais le fait est que le taux d’équipement en smartphone progresse extrêmement vite, bien plus vite que le développement d’Internet sur ces dix dernières années! Les jeunes et les professionnels sont déjà très équipés, ce qui fait que les progressions les plus importantes se font aujourd’hui sur les plus de 50 ans : je caricature à peine en disant qu’il ne se vend quasiment plus que des smartphones… Donc on n’est pas encore représentatif de la population française, mais on tend de plus en plus à s’en rapprocher, et les évolutions nous rendent plutôt optimistes. Et surtout, le mobile permet enfin d’obtenir des taux de réponse acceptables sur les cibles jeunes, que l’on a vraiment de plus en plus de mal à contacter via les autres médias.
En pratique, cela reste à un stade de R&D ou bien vos clients vous achètent-ils des études sur mobile ?
Les premiers clients sont là, surtout dans les secteurs de la technologie et de la grande distribution. Mais clairement, nous sommes beaucoup dans l’expérimentation avant généralisation (en particulier sur cet usage « pull » que nous évoquions), et les clients annonceurs se posent encore beaucoup de questions. La conjoncture économique actuelle n’est pas forcément un facteur favorable : les gens préfèrent en rester à du connu, à du « classique » plutôt que défricher, tâtonner. Mais il y a un intérêt manifeste de leur part, et il y a une réelle curiosité par rapport aux retours d’expérience que nous sommes en train de monter. Et on sent clairement moins de freins qu’il y en avait à ,la fin des années 90, au moment où nous en étions à faire les premières études sur internet. Cela peut laisser augurer une adoption relativement rapide : je m’attends à ce qu’il y ait un nombre significatifs d’enquêtes d’ici un à deux ans. En tout cas, quand on voit à la fois le nombre d’utilisateurs de smartphones et le temps que passent ceux-ci avec leur terminaux, tous les espoirs sont permis !
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