DOSSIER DU MOIS

# Comment co-construire efficacement avec les consommateurs ? (volet 1)

"Bien orchestrer la confrontation des points de vue est clé pour co-construire efficacement"

Virginie Gautereau
Responsable du Pôle Etudes Quali RETAIL & TSP d’Enov

27 Jan. 2025

Virginie Gautereau, Responsable du Pôle Etudes Quali RETAIL & TSP d’Enov

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L’institut Enov a la volonté d’intégrer les démarches de co-construction au cœur de  son activité. Bien sûr pour répondre au besoin des entreprises d’associer les consommateurs aux chantiers d’innovation, et de limiter ainsi les risques inhérents à cet exercice. Mais l’enjeu est aussi de parvenir à embarquer leurs équipes dans ces process. Virginie Gautereau (Enov) nous livre ses convictions sur les facteurs clés de succès de ces démarches, avec 3 exemples à l’appui.

MRNews : Le fondement des études marketing est d’écouter les consommateurs pour intégrer leurs attentes dans l’élaboration des offres. Pourquoi donc aller jusqu’à co-construire avec eux ?

Virginie Gautereau (Enov) : Sans doute parce qu’écouter ne suffit pas ou pas toujours ! Et parce que ces approches permettent d’interroger les consommateurs, mais aussi et surtout d’embarquer les équipes des marques, ce qui est un enjeu crucial. J’ajouterai enfin que c’est une démarche qui parle aux clients finaux, qui apprécient d’être partie prenante. Cela témoigne du fait que l’entreprise s’intéresse vraiment à eux. Mais co-construire avec les clients est aussi une excellente option pour réduire les risques inhérents à toute démarche d’innovation, en se donnant les meilleures chances quant à la viabilité de celle-ci. Et travaille indirectement l’image de la marque. 

Les approches de co-construction permettent d’interroger les consommateurs, mais aussi et surtout d’embarquer les équipes des marques, ce qui est un enjeu crucial.

J’ajouterai que co-construire avec les consommateurs suppose de mettre en œuvre des démarches complètes, menées de bout en bout avec eux. Et ce en plusieurs étapes, de manière itérative, et le plus souvent en mobilisant différentes méthodologies qu’il faut savoir hybrider. 

Pour les marques, co-construire leur permet de se doter d’un bon argument de communication pour mieux séduire ainsi les clients…

Tout à fait. Elle peut légitimement afficher qu’elle a travaillé avec des consommateurs, cela joue en sa faveur. 

Je dois néanmoins souligner que, côté entreprises, nos interlocuteurs ne sont qu’assez peu nombreux à formuler spontanément la demande de monter ce type de dispositif. Elle n’est que rarement là dans le brief de départ. Il s’agit donc plutôt d’une proposition de notre part, pour répondre à un besoin que nous ressentons même s’il n’est pas explicite. Nous le faisons également parce que nous croyons en la force et la pertinence de ces  approches, qui pèsent aujourd’hui de plus en plus  dans notre activité. 

La demande de lancer un dispositif de co-construction n’est que rarement là dans le brief de départ. Il s’agit donc plutôt d’une proposition de notre part, pour répondre à un besoin que nous ressentons même s’il n’est pas explicite.

Quels sont selon-vous les principales difficultés ou les pièges à éviter dans ce type de démarche ? Ou à l’inverse, quels sont les principes clés pour réussir ?

Deux enjeux me semblent majeurs. Le premier porte sur le recrutement des consommateurs invités à co-construire, dont le profil doit cocher pas mal de cases. Il est préférable d’intégrer des personnes suffisamment à l’aise pour avoir des idées et les partager, en plus de profils en phase avec les besoins de l’étude. Mais il faut éviter d’avoir des early adopters ou des gens trop décalés, dont la perception ou les attitudes biaiseraient les échanges. En pratique, cela suppose un travail rigoureux de recrutement, notamment sur des dimensions attitudinales, pour que nous puissions bien sentir à qui nous avons affaire et s’assurer que la « mayonnaise » prenne bien lors des ateliers. Mais nous devons aussi veiller à ce qu’il y ait une bonne complémentarité entre les profils des participants, à ce qu’il y ait de la diversité tout en éliminant des profils trop atypiques. 

Le profil des participants doit cocher pas mal de cases. Il est préférable d’intégrer des personnes suffisamment à l’aise pour avoir des idées et les partager, en plus de profils en phase avec les besoins de l’étude. Mais il faut éviter d’avoir des early adopters ou des gens trop décalés, dont la perception ou les attitudes biaiseraient les échanges.

Le second enjeu qui me semble essentiel porte sur l’embarquement des équipes en interne, au sens large. Si celles-ci ne s’impliquent pas dans la démarche, la démarche de co construction n’aura aucune chance d’aboutir ! Et là encore, se pose la problématique du choix des participants, qu’ils soient « consos » ou « internes » entreprise. Le casting est décisif en particulier dans les phases de workshop ! Naturellement, des règles de bon sens s’imposent pour le recrutement. Il faut par exemple éviter d’avoir plusieurs personnes d’un même département. Ou de mettre ensemble des gens qui se détestent cordialement ! (rires)

Quelles précautions particulières permettent de sécuriser les invités en interne ?

La clé est de mobiliser l’ensemble des parties prenantes, pour s’autoriser à confronter tous les points de vue, pour faire émerger des idées nouvelles, mais aussi en garantir la faisabilité. Il faut donc associer les départements qui peuvent mettre en avant les contraintes clés à intégrer, ce qui suppose une réflexion au cas par cas. Si la question des approvisionnements est un point sensible, le responsable du sujet doit avoir voix au chapitre. Il permettra d’éviter des erreurs possibles, et de trouver des alternatives. Idem pour les services juridiques ou R&D. 

Il faut associer les départements qui peuvent mettre en avant les contraintes clés à intégrer, ce qui suppose une réflexion au cas par cas.

Réunir les parties prenantes est crucial pour organiser une forme de confrontation, efficace, instructive, au bon moment, et pour dégager ainsi un consensus. Adopter un principe d’itération est également essentiel.

Concrètement, comment orchestrez-vous cette « confrontation » ? On met tout de suite les gens autour de la table, en mode workshop ?

Non. Le schéma le plus classique consiste à démarrer par une phase d’écoute des consommateurs, au sens large du terme, en exploitant les études disponibles, menant une desk research si c’est opportun. Dans certains cas, il est possible d’intégrer une étape d’entretien avec des experts et/ou des influenceurs. 

Bref, il s’agit d’abord de s’immerger dans les données. Puis il faut laisser le temps nécessaire à une vraie analyse de ce matériau, pour appréhender les signaux faibles, pour observer et comprendre en profondeur ce qui se passe dans le quotidien des consommateurs. Cette phase étant bouclée, on peut alors définir ce que nous appelons des « plateformes de besoin ». Cela forme un socle de connaissances que nous partagerons le plus souvent en début de workshops. 

Il faut laisser le temps nécessaire à une vraie analyse (des données d’études), pour appréhender les signaux faibles, observer et comprendre en profondeur ce qui se passe dans le quotidien des consommateurs. Cette phase étant bouclée, on peut alors définir ce que nous appelons des « plateformes de besoin ».

La finalité des workshops est ainsi très claire. Il s’agit de trouver les meilleures pistes d’innovations possibles, en réponse à un/des insight identifiés comme étant le.s plus structurants. Il vaut mieux prévoir au moins deux ateliers pour ne pas être victime d’un effet groupe, à l’image des focus groups. Avec 12 à 15 personnes le plus souvent, ce nombre pouvant bien sûr être ajusté si besoin, et permettant de travailler ensuite en équipes. Nous intégrons de plus en plus souvent  des « sketchers » dans ces workshops, des professionnels qui formalisent des représentations visuelles des idées, et qui facilitent le travail d’idéation en équipes. Leur apport est précieux, cela nous permet d’aller plus vite, d’être plus précis dans ces idées, de faire en sorte que les participants rebondissent sur les idées lancées.

Pouvez-vous nous partager des exemples de chantiers de co-construction que vous avez mis en œuvre, qui vous ont semblé particulièrement efficaces ou instructifs ?

Tout à fait. Le premier cas concerne la marque Gémo, avec laquelle nous avons travaillé sur des enjeux d’innovation, l’idée étant de concevoir une nouvelle gamme de vêtements pour enfants dans un esprit « Produits malins ». Là pour le coup, la marque était explicitement désireuse de partir sur une démarche de co-construction. Une des originalités du projet est que nous avons mis en place un dispositif d’écoute des consommateurs — en l’occurrence des parents de jeunes enfants — sur un temps relativement long, 6 semaines, en mode asynchrone. Les participants avaient la possibilité de se connecter à un petit carnet de bord, sur WhatsApp, ce qui nous a permis de récupérer beaucoup de matériaux, des verbatims bien sûr, mais aussi des photos, des vidéos… Nous avons organisé deux workshops. L’expérience a été particulièrement concluante, elle a débouché sur le lancement d’une vraie gamme, avec 5 ou 6 produits comme un pantalon, des chaussures… Et la marque a pu communiquer sur le fait que c’était bien le résultat d’une démarche de co-construction avec les clients. 

L’expérience que nous avons eue avec Gémo a été particulièrement concluante, elle a débouché sur le lancement d’une vraie gamme, avec 5 ou 6 produits comme un pantalon, des chaussures… Et la marque a pu communiquer sur le fait que c’était bien le résultat d’une démarche de co-construction avec les clients. 

Le second se situe dans un univers complètement différent, celui du transport, la problématique étant de concevoir ou plutôt de réaménager un pôle d’échanges multimodal…

Comment peut-on co-construire un pôle d’échange multimodal ? Quelle composante soulevait le plus gros challenge ?

Je dois préciser que le projet s’inscrivait dans la politique de déploiement des ZFE, une ZFE étant une zone où l’on vise à réduire la pollution. Cela se traduit par des aménagements particuliers, notamment la création d’espaces dédiés au stationnement de son véhicule personnel et à l’emprunt de transports collectifs, pour se rendre en centre d’agglomération. Concevoir ce genre de pôles est nécessairement complexe du fait de la nature même de l’objet à imaginer : dans son dimensionnement, ses contraintes techniques, réglementaires et aussi dans les différentes parties prenantes qu’il engage. Donc il faut d’une part tenir compte de la grande diversité de ces parties prenantes, mais également de la culture de l’entreprise. On est dans un monde d’ingénieurs, les savoir-faire techniques sont essentiels et la consumer centricity peut paraitre obscure voire illusoire  ; il n’est donc pas évident d’intégrer la vision des futurs utilisateurs du pôle.

Concevoir un pôle d’échange multimodal est nécessairement complexe du fait de la nature même de l’objet à imaginer : dans son dimensionnement, ses contraintes techniques, réglementaires et aussi dans les différentes parties prenantes qu’il engage. Donc il faut d’une part tenir compte de la grande diversité de ces parties prenantes, mais également de la culture de l’entreprise.

Cela nous a conduits à monter un dispositif particulièrement complet. En plus des consommateurs, nous avons notamment inclus  une phase d’interviews d’experts, de spécialistes de la mobilité, mais aussi du travel retail pour bien multiplier les points de vue Puis nous avons mis en œuvre un premier atelier avec l’organisation, alterné avec une phase digitale asynchrone pour faire phosphorer autour de nouvelles idées, et chauffer un peu les esprits avant de lancer un second workshop. Dernière étape du dispositif, et non des moindres, mesurer l’appétence vis-à-vis des différentes alternative et services imaginés via une étude quantitative. La démarche était donc très hybride.

Quid du troisième projet ?

Ici nous sommes sur un travail un peu différent de co-construction, avec la SNCF, et plus précisément avec l’équipe en charge du programme Simplicité Clients. Pour l’usager, la SNCF c’est la SNCF. Mais, en réalité, le service est mis en œuvre par différentes entités, plusieurs transporteurs : TER, TGV Inoui, TGV Ouigo, Transilien, Intercité… Le programme Simplicité Voyageurs a donc pour vocation de simplifier l’ensemble des parcours multi-transporteurs, à toutes les étapes ! Un travail titanesque qui demandait un dispositif XXL, agile, intervenant sur des très nombreux aspects différents.

Le brief de départ était de monter une communauté de voyageurs. Mais il nous a semblé plus opportun de procéder autrement, en voyant plus grand et surtout plus agile : un Lab. Le Lab repose sur une manière différente de collaborer avec le client qui permet proactivité (des design d’études anticipés grâce aux routines installées avec le client), pertinence (des méthodologies sur-mesure adaptées aux objectifs), capitalisation (des méta-enseignements transversaux au fil des projets qui alimentent les autres) et désilotage avec un vrai impact sur l’organisation qui favorise la culture client. 

Le brief de départ était de monter une communauté de voyageurs. Mais il nous a semblé plus opportun de procéder autrement, en voyant plus grand et surtout plus agile : un Lab.

La démarche de co-construction prend son sens avec notre client, dans l’identification des problèmes à traiter et le co-design des dispositifs à lancer, ainsi que le repérage des solutions possibles. Pour ne donner qu’un exemple d’output, le nombre de formulaires de réclamation-client est passé d’une trentaine à un seul, à l’issue de plusieurs sessions de tests UX.

Une dernière question enfin. En vous appuyant sur votre expérience, voyez-vous un conseil clé à partager aux équipes des annonceurs sur ces chantiers de co-construction ?

Une précaution nous semble en effet importante : celle de ne pas prendre la parole du consommateur au pied de la lettre. Bien sûr, il est fondamental de l’écouter et de l’associer dans la démarche, il doit même être au centre de celle-ci. Mais il faut d’une part multiplier et croiser les points de vue quant à ses besoins potentiels, en ne faisant pas qu’entendre ce qu’il dit explicitement, mais aussi en observant ses gestes, ses pratiques, ce qui est une source d’insights très riche. Et il est impératif de confronter la vision de toutes les parties prenantes, notamment dans l’entreprise, du marketing à l’opérationnel en passant par la stratégie, le juridique ou les approvisionnements, les chefs de produit. Et d’appréhender le terrain de jeu dans son ensemble, sans négliger les tendances « macro » du marché. C’est la condition indispensable pour parvenir à la bonne synthèse et à une solution faisable, pertinente pour tous. 

Il est impératif de confronter la vision de toutes les parties prenantes, notamment dans l’entreprise, du marketing à l’opérationnel en passant par la stratégie, le juridique ou les approvisionnements, les chefs de produit. Et d’appréhender le terrain de jeu dans son ensemble, sans négliger les tendances « macro » du marché.

J’ajouterai enfin que la co-construction doit vraiment être pensée au cas par cas. On le voit au travers des exemples que nous avons évoqués, ils illustrent la diversité des contextes à prendre en compte. Pour être efficaces, ces démarches exigent donc une bonne part de réflexion et une sérieuse expérience.


 POUR ACTION 

• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Virginie Gautereau

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