Delphine Duran-Lesecq

« Seule, je vais plus vite. Mais ensemble, on va plus loin ! » – L’interview ‘micro-portrait’ de Delphine Duran-Lesecq

29 Nov. 2024

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Le Market Research en France, ce sont bien sûr des entreprises, des associations, mais aussi des personnalités et des visages. Parmi les plus connus — et certainement les plus appréciés — d’entre eux figure celui de Delphine Duran-Lesecq, qui consacre une bonne partie de son énergie au service de l’Adetem dont elle est Co-Présidente du Pôle Innovation ainsi qu’à l’Insight Hub ou encore à l’Irep.
Nous vous invitons à mieux faire sa connaissance, côté « cour » avec le versant professionnel ; mais aussi côté « jardin », au travers de cette nouvelle interview « micro-portrait ».

MRNews : Comment présenteriez-vous votre activité professionnelle en quelques mots ?

Delphine Duran-Lesecq : La headline de mon profil linkedin est « dénicheuse et activatrice d’insights ». On m’a dit que ça m’allait comme un gant (rires) ! C’est une formule, mais je crois néanmoins qu’elle résume assez bien mon activité et ce que j’essaie de faire. Je travaille en tant qu’indépendante, quasi exclusivement pour des annonceurs, le plus souvent pour des directions Insights sur des enjeux de stratégie marketing, mais parfois également sur des sujets très orientés Innovation. Avec une triple obsession, celle de dénicher des pépites, comme toute chasseuse d’insights qui se respecte, mais aussi de rester dans une logique très opérationnelle et de mettre les individus — qu’ils soient consommateurs, citoyens, parents, usagers, patients, collaborateurs… — au cœur des organisations et de leur système de décision pour toujours plus de sens.

J’accompagne des entreprises de toutes tailles et de tous secteurs, des multinationales comme des ETI ou des start-ups qui ont souvent des enjeux passionnants, qu’il s’agisse d’innovation, de stratégie de marques ou de définition de cibles prioritaires. 

Quelle a été votre formation, quel est votre parcours ?

Je suis diplômée de Grenoble École de Management, même si on disait « Sup de Co Grenoble » à l’époque (rires). J’ai également fait un MBA au Henley Management College. Le campus était situé dans la banlieue de Londres, ce qui a contribué à ce que je démarre mon parcours professionnel chez Millward Brown International, sur le site où l’entreprise a été créée, un peu au milieu de nulle part. C’était un assez gros institut, LE grand spécialiste des trackings et des tests de communication. Messieurs Millward et Brown étaient les deux fondateurs, tous deux chercheurs, le premier étant un publicitaire et le second plutôt un marketeur de mémoire. J’ai ensuite rejoint la filiale France en 1995. C’était une petite structure à l’époque, nous faisions donc énormément de choses par nous-mêmes, dont gérer les recrutements par exemple. Quand j’en suis partie en 1999, l’équipe comptait une trentaine de personnes. J’y ai beaucoup appris et je suis un « eternal learner ».

J’ai commencé à éprouver cette frustration classique dans nos métiers, celle de ne pas voir ce qui se passait une fois les recommandations formulées. J’étais donc mûre pour basculer côté annonceurs ! C’est ainsi que je me suis retrouvée à créer la fonction Consumer Research chez Thomson Multimédia. Et j’ai adoré cette expérience. Il y avait tout à faire, avec l’enjeu notamment de faire évoluer la culture de l’entreprise, très ingénieure et « techno-push », vers une vision plus people ou user centric. Cela a aussi été l’occasion pour moi, qui avait un profil très orienté « quanti » de m’approprier les études qualitatives, en animant pas mal de groupes en interne.

Vous n’en êtes pas resté là côté annonceur…

En effet, après 8 ans de Thomson, j’ai rejoint Newell Rubbermaid. Il s’agissait d’un conglomérat de marques, une quarantaine à l’époque, sans liens étroits entre elles. Je me suis essentiellement consacrée à l’activité fournitures scolaires et écriture, avec des marques comme Papermate, puis Waterman, Parker, Rotring ou encore équipement pour bébés avec Graco… Et beaucoup penchée sur des problématiques de gestion de portefeuilles de marques et de positionnement. La logique de l’entreprise consistait à sourcer l’innovation, elle n’avait pas vraiment de R&D en propre sur mes catégories, ce qui fait que l’on travaillait surtout sur les concepts et les positionnements. Puis le groupe a été recentralisé. N’ayant pas vraiment envie de m’expatrier aux États-Unis ou à Londres, cela a été l’occasion pour moi de démarrer autre chose, et de me lancer en tant qu’indépendante.

J’ai eu la grande chance, au travers de ces expériences, de pouvoir me confronter à des univers très différents. Cela me convient parfaitement de ne pas avoir joué la carte de la spécialisation, ma conviction étant qu’il y a un énorme intérêt à la fertilisation « cross-secteurs ». Il m’arrive souvent aujourd’hui de travailler sur des activités BtoB ou BtoBtoC, dont les problématiques peuvent être très riches et passionnantes.

J’ai eu la grande chance, au travers de ces expériences, de pouvoir me confronter à des univers très différents. Cela me convient parfaitement de ne pas avoir joué la carte de la spécialisation, ma conviction étant qu’il y a un énorme intérêt à la fertilisation « cross-secteurs ».

Si on fait un petit retour arrière, quel a été le déclic qui vous a amenée à faire des « études marketing » votre profession ?

Il s’est certainement produit à l’occasion d’un stage que j’ai effectué suite à mon MBA en Angleterre, chez Cadbury Schweppes. Le snacking y est fortement pratiqué là-bas, c’est une donnée culturelle importante, et les équipes étaient perplexes du fait de l’hétérogénéité des performances de leurs distributeurs de boissons. Alors que je n’avais encore qu’une connaissance un peu théorique de ce qu’étaient les études marketing, j’ai eu l’idée de me poster devant un certain nombre de ces distributeurs, d’observer les comportements des gens. Et, de fil en aiguille, de les interroger via un petit questionnaire que j’avais élaboré. Après cela je n’ai plus jamais quitté le monde des études, cette expérience a eu pour moi l’effet d’une révélation !

Quelles rencontres vous ont les plus marquée le long de votre parcours ?

Il y en a eu tellement ! J’en citerai au moins trois, dont celle avec mon premier manager chez Millward Brown UK, Trevor. Il s’agissait d’un expert vraiment pointu, j’ai donc beaucoup appris de lui sur le plan technique. Mais, ce qui m’a le plus marqué, c’était sa capacité à faire confiance. Il n’a pas hésité, alors que j’étais très jeune et même une débutante, à me confier l’animation d’une présentation devant des clients majeurs pour l’entreprise. C’était un vrai saut dans l’inconnu, et je n’ose imaginer les conséquences si cela s’était mal passé. Mais soit je ne me suis pas trop mal débrouillée, soit ils ont été charmés par mon accent terriblement frenchy – ou peut-être les deux sait-on jamais, mais j’ai réussi mon baptême du feu. Et cela m’a beaucoup servi tout au long de ma carrière, de voir que l’on pouvait ainsi oser et apprendre.

La deuxième rencontre est celle d’un grand monsieur qui nous a quittés il y a quelques mois, Stéphane Truchi. Il m’a montré à quel point on pouvait à la fois apporter de la hauteur de vue, inspirer les gens en leur partageant des tendances — ce qu’il faisait avec le TrendObserver qui était son bébé à l’époque —, et en même temps être très connecté aux enjeux opérationnels et business. Pour moi, c’est l’exemple du visionnaire qui, comme Trevor, fait confiance, est dans « l’empowerment » et la transmission. Cela compte beaucoup pour moi.

Et la troisième ?

Je préfère ne pas donner son nom pour ne pas la mettre mal à l’aise, mais elle se reconnaitra avec son prénom. C’est Odile, qui a joué un rôle important à différents moments de ma vie professionnelle, et notamment au moment où j’hésitais à me lancer en tant qu’indépendante. Voilà là encore une personne — et c’est clairement le fil rouge de ces rencontres —, qui fait grandir les gens en leur faisant confiance.

Si vous aviez une baguette magique pour changer un petit quelque chose sur la planète des études marketing, qu’en feriez-vous ?

J’essaierai de m’en servir pour rendre l’écosystème de nos métiers encore plus collaboratif qu’il ne l’est. Nos métiers au sens large du terme, en intégrant les instituts et les professionnels qui travaillent chez les annonceurs, mais aussi les acteurs du conseil que l’on regarde à mon avis un peu trop souvent en chien de faïence. Je crois beaucoup à ces deux formules inscrites sur cette médaille que je porte souvent et que j’ai trouvée par hasard. La première au recto dit « Seule, je vais plus vite ». Et la seconde au verso: « Ensemble, on va plus loin ». C’est un proverbe africain et il résume tellement de choses ! J’essaie de faire en sorte que cette conviction se traduise dans mon quotidien, en particulier au travers de mon implication dans la vie associative, à l’Adetem, à l’Insight Hub, à l’Irep, dans les comités de pilotage du Printemps des Études et de l’Intelligence Forum… Je sais que cette nécessité de mieux co-construire est partagée avec d’autres. Avec Stéphane Marcel notamment, avec qui l’Insight Hub a organisé une conférence commune au dernier LPE sur ce sujet.

Si j’avais une baguette magique, j’essaierai de m’en servir pour rendre l’écosystème de nos métiers encore plus collaboratif qu’il ne l’est. Nos métiers au sens large du terme, en intégrant les instituts et les professionnels qui travaillent chez les annonceurs, mais aussi les acteurs du conseil que l’on regarde à mon avis un peu trop souvent en chien de faïence.

Lire aussi > L’interview de Stéphane Marcel : «Il est grand temps de reconnaître aux études marketing toute la valeur qu’elles méritent !»

Vous avez une passion évidente pour ce métier. Mais si vous deviez en faire un autre, lequel serait-ce ?

J’aurais pu en avoir plein d’autres. Et surtout celui d’architecte, sans doute parce qu’on retrouve dans cette profession ce côté « biface » des études. Il faut faire preuve d’imagination, de créativité ; mais en même temps être dans le réel, avec des processus et des deadlines, l’impératif de planifier les actions.

Le coaching pourrait également m’attirer. Je m’en rends compte au travers de quelques accompagnements que je peux mener de manière informelle, mais aussi dans ma façon de pratiquer le métier des études. Cela m’amène à visiter une autre facette de ma personnalité, à jouer un rôle différent, dans lequel on aide les gens à faire plutôt qu’à faire soi-même. Mais est-ce que je pourrais l’exercer à plein temps ? J’avoue ne pas savoir, j’aime quand même beaucoup être dans l’action !

Nous sommes passés « côté jardin »… Quelles sont vos passions en dehors du market research et de la vie professionnelle ?

Là encore, j’en ai beaucoup… Le Street Art en fait clairement partie. Je n’en suis pas experte, et je ne le pratique pas en tant qu’artiste, mais j’éprouve un vif intérêt pour cet univers, pour la diversité des talents et des sensibilités qui s’y expriment. Je l’ai découvert à Londres, où cet art est très présent. Dès que je peux, lorsque que j’ai l’occasion de voyager dans de grandes villes, mon réflexe est de regarder s’il est possible de voir des choses, via des Street Art Tour. C’est le cas notamment dans les capitales de l’Europe du Nord, mais aussi à en Amérique du Sud, à Buenos Aires par exemple.

Une deuxième passion, plus récente, est celle de la méditation. Pas forcément pour m’apaiser, j’ai une énergie débordante pour ceux qui me connaissent, même si cela m’aide certainement à mieux gérer mes émotions. Mais je le pratique plutôt pour me retrouver, mieux me connaitre, être dans le présent. J’ai découvert ça il y a quelques années, et cela a beaucoup raisonné en moi.

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Allez, une dernière question, un grand classique : imaginons que vous deviez partir sur une ile déserte… Vous avez le choix de prendre 3 livres ou 3 albums de musique, lesquels mettez-vous dans votre sac ?

Côté livres, j’emporterai certainement l’Abécédaire de la sagesse, co-écrit par Christophe André, Matthieu Ricard et Alexandre Jollien. Un trio que j’ai eu l’occasion d’écouter dans le cadre d’une conférence, et que j’ai trouvé vraiment extraordinaire, avec des propos tellement ressourçants ! Le deuxième livre est « Ajouter de la vie aux jours » d’Anne-Dauphine Julliand. Il est consacré à une histoire tragique, c’est un exemple bouleversant de résilience face à des épreuves mais où le carpe diem prend son sens. Le troisième, c’est La tresse, de Lætitia Colombani, qui a aussi fait l’objet d’un film. On a là trois femmes dont les destins sont très différents, mais qui ont un lien que l’on ne découvre qu’à la fin, et que bien sûr je ne dévoilerai pas !

Comme j’ai un grand sac, je mettrais bien de quoi écouter de la musique. Par exemple l’album Rêvalité, de Matthieu Chedid, que je trouve absolument génial. Peut-être parce que j’y retrouve ce côté bi-face, avec l’imaginaire, le rêve, mais aussi la réalité. Je prendrais bien également quelques méditations guidées en audio. Et puis des sketchs, je pense notamment à ceux de Karim Duval, qui s’attaque au milieu de l’entreprise avec beaucoup d’humour. J’ajoute un dernier nom, celui de Doully, que j’ai découverte au théâtre il y a quelques semaines. Son histoire n’a pas été rose, mais elle parvient à me toucher et à me faire rire, ce qui est un besoin essentiel chez moi. 


 POUR ACTION 

• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Delphine Duran-Lesecq

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