Et si le vrai grand défi pour les marques venait plus spécifiquement des cadets des Millénials que sont les Z ? C’est la conviction que se sont forgés Jean-Faustin Betayéné (Harris Interactive) et Jean-Paul Fischer (Le Bureau) qui ont mis en oeuvre une étude de fond* sur les stratégies des marques les plus performantes auprès de cette cible, la viralité des communications étant clairement le marqueur déterminant. Ils nous en présentent les principaux learnings, en alertant les marketeurs sur les risques d’une vraie coupure générationnelle.
MRNews : Millénials, génération Y, génération Z… Il n’est pas si évident de s’y retrouver entre ces différentes « appellations ». Quelle segmentation vous parait la plus pertinente pour les marketeurs ?
Jean-Faustin Betayéné (Harris Interactive) et Jean-Paul Fischer (Le Bureau) : Il y a de quoi se perdre en effet dans ces découpages générationnels, d’autant qu’à l‘évidence, il n’existe pas de définition stricte et partagée par tous. Tout le monde s’accorde néanmoins pour considérer les Millénials comme étant la génération des « digital natives », nés entre 1980 et les années 2000. Au sein de cette famille -qui est très large puisqu’elle regroupe les individus ayant aujourd’hui entre 15 et 35 ans-, nous avons d’un côté les ainés, la génération Y, et leurs petits frères, nés entre 1995 et 2005, que l’on considère comme étant la génération Z. Les Z sont les plus jeunes des Millénials en somme.
La posture qui nous semble le plus faire sens pour les marketeurs consiste à s’interroger sous l’angle de la rupture : quelle génération déroute le plus les marques ? Selon nous c’est à l’évidence la génération Z qui répond le mieux à ce critère.
La grande rupture des comportements se produit avec les 15/25 ans et donc avec la génération Z ?
Absolument ! C’est avec cette génération qu’intervient le changement de paradigme le plus violent, que Michel Maffesoli résume comme étant la fin de l’individualisme roi. Après des décennies de montée en puissance de l’individualisme, nous assistons à un retour du collectif, avec un fonctionnement reposant sur de petites communautés. C’est un énorme challenge pour les marques, qui ne doivent plus adresser des individus et encore moins une génération, celle-ci étant trop hétérogène pour constituer une réelle cible, mais des communautés. Celles-ci sont naturellement enchevêtrées, chaque personne appartenant à plusieurs communautés distinctes.
Est-ce qu’il n’y a pas néanmoins une certaine communauté de valeurs au sein de cette génération ?
S’il y a un point commun, c’est bien le rejet de l’individualisme d’hier. Mais il y a un corolaire à cela, qui est la fin du primat de la raison au profit de l’émotion. Ce qui est bien sûr déterminant pour les marques : le discours fondé sur des arguments rationnels et sur la démonstration ne fonctionne plus. Leur réflexe naturel est celui du « no fake ». Ils se méfient de tout, à commencer des experts et, plus largement, rejettent le principe d’une relation verticale, celle dans laquelle s’était inscrite la grande majorité des marques. Et ils décodent avec une facilité déconcertante les vieilles ficelles du marketing. Les ingrédients de conviction sont donc du registre de l’émotion ; l’authenticité prime.
Vous avez effectué une démarche de fond pour sérier les marques qui parviennent le mieux à s’adresser et à engager ces individus de la génération Z. Quelles sont-elles ? Et en termes de méthode, comment les avez-vous identifiées ?
Oui, nous avons réalisé une étude complète basée sur une desk research internationale, une immersion individuelle au travers de blogs auprès de 60 participants, à qui nous avons demandé de nous indiquer ce qui a fait le buzz autour d’eux (images, vidéos, contenus, …), des focus groupes et pour finir une étude quantitative auprès d’un échantillon représentatif de 500 Français âgés de 15 à 25 ans.
Plutôt que de partir d’une démarche classique consistant à d’abord s’interroger en profondeur sur qui sont ces individus et quelles sont leurs valeurs, nous avons repéré les opérations marketing qui performent le mieux sous l’angle de la viralité — qui est clairement LA métrique de mesure du succès sur ces cibles —, pour ensuite essayer de comprendre quels mécanismes et quels codes avaient été mis en œuvre. De là, nous avons retenu 7 leviers et avons constaté que lorsqu’au moins 3 des 7 drivers sont présents, en général cela fonctionne auprès de cette cible.
Parmi les marques qui ont réussi à toucher les Z , nous pouvons citer par exemple Adidas, avec plus d’un million de vues de leur film Adidas Originals en moins d’une heure. Ou bien Dior ou Chanel. Ou encore des acteurs comme TF1 ou le Crédit Agricole qui sont parvenus à faire des choses très pertinentes. Il y en a d’autres. Le grand enjeu pour les marques est de développer une expérience qui intéresse les communautés propres à cette génération, et/ou un storytelling qui leur parle. Et il s’agit bien de storyteling comme toujours lorsqu’il est question d’engager une communauté d’individus, et non de Brand Content.
Mais de nouveaux codes s’imposent …
Absolument ! C’est flagrant lorsqu’on analyse les créations les plus performantes qui délaissent les codes traditionnels pour des shoots d’image ou de musique, à forte valeur émotionnelle. Il est intéressant de voir que même les marques les plus établies du luxe – qui sursignifiaient auparavant leur puissance et leur ancrage haut de gamme – ont procédé à ce renouvellement. Les échecs sont également édifiants. Certaines marques sont manifestement tombées dans le piège du ‘politiquement correct’ et du caricatural. Pour les Z, c’est du « fake » ! Un autre ingrédient majeur d’efficacité est la culture de l’immédiateté (Nowism). Une marque comme Suprême joue cette carte à merveille, par exemple lorsqu’elle a créé une série limitée de tickets de métro, qui n’étaient vendus que dans 3 ou 4 stations à New York.
Nous sommes à l’ère de l’économie de l’attention. C’est le grand enjeu des marques aujourd’hui : comment émerger ? Comment être présent à l’esprit du public en permanence pour ainsi maximiser la probabilité d’achat des produits ? La réussite de Red Bull est exceptionnelle sous cet angle. Mais il n’y a pas de hasard, ils déploient des moyens énormes pour cela, avec la création d’évènements et même d’une chaine de télévision. Ils dépassent les médias traditionnels ; ce sont eux qui réinventent les codes du journalisme jusqu’à la façon de filmer, du point de vue des jeunes. Voilà une marque qui a parfaitement intégré la nécessité d’être présente à 360 degrés, 24 heures sur 24.
Quelles sont les autres « règles du jeu » qui vous paraissent incontournables auprès de cette cible ?
Le principe du « Brand me », du « Lol realism », du « Game lifer » ou du « Creative hacking » par exemple sont clés. Pour obtenir l’attention des Z, il faut jouer avec la réalité, l’immédiateté et être capable d’autodérision. Des marques comme Suprême sont parfaitement dans cette démarche. Netflix également. Cette génération a aussi un très grand désir de co-créer, avec une très forte sensibilité à l’esthétisme des visuels, de la réalisation.
Parmi les acteurs les plus performants auprès de cette cible, vous citez des marques anciennes. Ce qui va à l’encontre d’une idée reçue, qui voudrait que l’on assiste à une rupture telle que seuls de nouveaux acteurs pourraient l’emporter…
Notre conviction est que les marques ont une réelle latitude à se renouveler dès lors qu’elles activent les bons leviers pour toucher cette cible. L’univers du possible n’a sans doute jamais été aussi ouvert qu’aujourd’hui. Elles ne doivent pas « casser » leur ADN, mais travailler dans une logique d’extension.
Il n’y a pas de marques dont l’ADN serait fondamentalement incompatible avec la génération Z ? Tout ne serait qu’une question de codes ?
Utiliser les codes gagnants est à l’évidence le principal enjeu. Mais bien sûr on ne devient pas une marque jeune et cool sans se doter d’un certain nombre d’attributs. Cela peut aussi passer par des mécaniques d’hybridation, comme l’ont fait Uber avec Coca-Cola ou Louis Vuitton avec Suprême. Il ne faut pas oublier un autre aspect essentiel qui est la force d’influence de cette génération. Pour une femme d’un âge relativement mûr, il est inenvisageable de passer pour une ringarde auprès de sa fille. Les enfants ont un rôle énorme, cela compte plus que tout dans la vie des adultes d’aujourd’hui.
Vous avez évoqué les clés de l’engagement. Qu’en est-il de la fidélisation ?
Ces individus ne fonctionnent pas selon les schémas traditionnels et sont de fait extrêmement volatiles dans leurs comportements d’achat. Ils zappent. S’ils trouvent une marque « cool » en chemin, ils prennent celle-ci ! Le grand challenge, c’est cette présence à l’esprit systématique que nous avons évoquée. En vérité, on ne peut pas imaginer fidéliser ces cibles autrement qu’en étant dans une reconquête permanente.
Une dernière question enfin sur les pièges qu’ils vous semblent importants à éviter pour les marques qui s’intéressent à cette cible ?
Une des erreurs les plus classiques pour les marques est de raisonner « supports ». A partir du moment où elles utilisent des canaux comme Instagram ou Snapchat, elles pensent avoir fait un grand pas en avant. Alors qu’il n’en est rien, l’essentiel se jouant ailleurs, dans la façon de s’approprier et de « jouer » avec ces outils.
Plus largement, une des difficultés majeures pour travailler sur cette cible est que tout va très vite. Même au sein de grandes marques, les staffs marketing ne parviennent pas toujours à identifier ce qui fait vibrer cette génération ; ils n’ont pas le temps de s’imprégner de ce qui intéresse réellement les Z. Il y a à l’évidence un clivage générationnel dont les marques doivent prendre conscience pour s’adapter à cette cible dont l’importance ne fera que croitre dans les années à venir.
POUR ACTION
• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Jean-Faustin Bétayéné @ Jean-Paul Fischer