« Chroniques d’une marketeuse repentie », un nouveau blog signé Babette Leforestier.

27 Nov. 2013

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Voilà un titre qui fait mouche et un paradoxe qui semble faire florès : comment utiliser les armes du marketing (et son sens de la formule) pour ne « combattre » que mieux celui-ci, ou du moins pour tourner en dérision un certain marketing… « Chroniques d’une marketeuse repentie » est en effet l’intitulé de ce blog ouvert il y a quelques semaines par Babette Leforestier (qui vient de quitter le monde des instituts d’études), et qui se veut un plaidoyer pour un marketing « responsable». Au menu : des billets « d’humeur et d’humour », des chroniques nourries de 30 ans d’expérience professionnelle, ainsi que des articles plus prospectifs sur le marketing de demain. Son auteur répond aux questions de Market Research News.

Market Research News : Vous avez travaillé dans l’univers de la presse (entre autres pour Stratégie, CB News, Marketing Magazine*), puis dans les études et le planning stratégique chez Kantar et TNS Sofres. Qu’est-ce qui fait courir Babette Leforestier ?

Babette Leforestier : La curiosité ! C’est une grande chance de faire une carrière où vous êtes payée pour apprendre !

« Chroniques d’une marketeuse repentie » est un superbe intitulé pour un blog. Mais vous repentez-vous vraiment, et si oui de quoi ? Quel « mal » auriez vous donc fait ?

J’ai vécu pendant longtemps dans le monde enchanté du marketing. La lettre d’innovation Marketing Profit que j’avais créée avec une amie journaliste allait dans ce sens : trouver toute idée qui permettrait de vendre plus. Le déclic est venu quand nous avons lancé une étude sur la nutrition/santé en 2002 : j’ai découvert l’envers du décor, avec les lobbies qui bloquaient toutes les initiatives pour une meilleure alimentation, au niveau national mais aussi internationale. La lecture du livre Food Politics de Marion Nestle m’a définitivement ouvert les yeux. J’ai eu le sentiment d’être complice de toutes ces stratégies et j’ai commencé à prêcher un marketing plus responsable auprès des équipes internes, de mes clients, des étudiants et bien sûr dans tous ce que j’ai pu écrire, dans le Marketing Book notamment.

Vous écrivez dans votre blog : « Il m’a fallu du temps, mais j’ai compris que jamais je ne pourrais convaincre «de l’intérieur» que l’on pouvait faire mieux : un marketing plus responsable ». En quelques mots, à quoi ressemblerait ce marketing plus responsable ?

Je ne prendrai que trois exemples. Le premier est celui du marketing enfants. Les marques font de beaux discours d’autorégulation mais passent sous le radar avec Internet par exemple, l’endorsement de sportifs, la promotion… Deuxième exemple : la mise en place de stratégies du « eat more » justement évoquée par Marion Nestle. Il s’agit pour les marques de gagner des parts d’estomac. Si vous achetez (pour un ado notamment) une bouteille de 1,5 ou 2 litres de Coca-Cola, elle sera bue dans le même délai. C’est ce que m’avait appris un jour le patron de Coca-Cola France en m’expliquant pourquoi il avait opté pour des packs de six bouteilles plutôt que de quatre. Dernier point, ce sont toutes les approches de greenwashing, socialwashing et maintenant localwashing utilisées sans vergogne par les sociétés.

Pourquoi est-ce si difficile de changer les choses et d’aller dans ce sens d’un marketing plus responsable ? 

Parce que l’argent, bien évidemment, qui justifie en particulier les stratégies de hausses des volumes. A quelques exceptions près – je pense à Danone – du bas au haut de l’échelle des équipes marketing et commerciales, les objectifs assignés ne sont que des objectifs de volume, quel que soit le gaspillage qui en découlera : je pense par exemple au lot de deux des produits frais ou aux packs géants de yaourts ou de pâtes à tartiner

L’objectif que vous avez assigné à votre blog, est dites vous, de relever petits et très gros mensonges de cet univers ? Quel est le plus gros mensonge que vous ayez entendu jusqu’ici ?

On ne sait que choisir ! Les communiqués de presse sont des modèles de langue de bois ; les interventions publiques également, surtout quand elles émanent des porte-parole des lobbies. Il m’en vient trois à l’esprit : Franck Riboud déclarant à un parterre de professionnels qu’il savait pertinemment que les succès d’Activia et d’Actimel  ne venaient pas de leurs avantages santé. Le patron d’Eco-emballages déclarant que les produits pocket étaient très utiles quand on fait des randonnées en montagne ! Un autre, très joli aussi, d’un patron du développement durable qui procède à une démonstration magistrale des efforts entrepris par sa société multnationale. Quand je lui fais remarque en aparté qu’aux Etats-Unis, il n’est pas très clean, il me répond « vous savez, entre les discussions de salon et la réalité… »  Et je ne parle pas bien sûr de la communication publicitaire et des patrons d’agence. J’ai un très beau florilège de citations qui figureront dans mes chroniques. Des scientifiques aussi : un jour, j’entendais un « débat » sur France Inter entre la représentante du lobby de l’alimentation infantile et un nutritionniste. J’ai tapé sur Google : il m’a fallu deux secondes pour découvrir que ce nutritionniste faisait la une d’un site de nutrition infantile d’une très grande marque de produits pour bébé ! Beau débat contradictoire !

Dans votre blog, vous ne faites cependant pas que relever le compteur à mensonges du marketing…

Pas du tout. La rubrique « minute marketing » que j’ai créée dans les années 2000 est faite pour relever des initiatives positives – et honnêtes – créées dans d’autres pays, sur la nutrition/santé notamment. De même, ma rubrique « perspectives » veut aller plus loin que le marketing à court terme et souligne des initiatives intéressantes. Je pense à certains projets en Afrique qui constituent autant d’innovations, en sélectionnant les meilleures.

Est-ce que vous n’avez pas le sentiment de cracher dans la soupe du marketing ? Ou bien faut-il faire mine de cracher pour avoir une chance d’être entendue ?  Je ne crache pas dans la soupe. Ecoutez la radio, lisez les journaux. Avant, on disait « c’est que de la pub » ; maintenant on dit  « ce n’est que du marketing », avec toutes les connotations péjoratives que cela sous-entend.  Je plaide pour un marketing moins irresponsable, pour justement que l’on n’utilise plus cette expression. Quand j’intervenais dans des instituts et que l’on me reprochait de « cracher dans la soupe » comme vous dites, j’ai constaté que les clients ne voulaient pas entendre ; leurs « fournisseurs » que sont les instituts ou les agences de pub, devaient être aux ordres, alors que nous avions une mission de conseil, leur dire qu’ils faisaient fausse route. C’était cela leur rendre un vrai service. Plutôt que de remonter en amont et avoir une vraie conviction, ils préfèrent soigner la maladie avec leurs stratégies de « communication de crise ».Je vais vous poser la même question qu’à Georges Lewi suite à la parution de son Bovary21. Même si vous pouvez donner cette impression de cracher dans la soupe pour garder l’expression, il semble évident que vous aimez le marketing… Mais au fond pourquoi, pour quelles raisons continuez-vous à l’aimer ?

Mes enfants me posent cette question depuis des années ! Tout simplement parce que je reste convaincue que, sans marketing, vous ne pouvez pas vendre un produit. Mais le marketing n’est pas mentir. Regardez les campagnes caritatives. Elles sont utiles et les associations ne pourraient pas vivre sans elles. Ce qui me frappe, en ayant rencontré tant de jeunes chefs de produit ou chargés d’études, c’est cette dualité. Ils paraissent honnêtes dans leur vie privée, militent dans des associations. Pour quelle raison deviendraient-ils cyniques lorsqu’ils franchissent les portes de leur entreprise au nom du « service clients »? Il faut leur apprendre à dire « non ».

NDLR : Pour découvrir le blog de Babette Leforestier, c’est par ici : « Chroniques d’une marketeuse repentie » ; ou suivre ses tweets, c’est par là : Bablefo


 POUR ACTION 

• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Babette Leforestier

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