Pour Caroline Vigneront (OpinionWay), si les démarches de co-construction se sont imposées auprès des marques, c’est à la fois parce qu’elles leur apportent beaucoup, mais aussi car elles résonnent avec l’état d’esprit des consommateurs d’aujourd’hui. Cela ne signifie pas pour autant qu’elles soient si faciles à déployer, l’exigence étant de mise pour parvenir à une réelle efficacité, tant côté institut que pour les équipes des entreprises. Elle nous livre ses convictions sur le sujet en répondant aux questions de MRNews.
MRNews : Pourquoi les entreprises éprouvent-elles le besoin de sortir du schéma classique des études marketing – dont la vocation est d’écouter les consommateurs – pour co-construire leurs offres avec eux ?
Caroline Vigneront (OpinionWay)) : Co-construire permet aux équipes marketing d’établir un contact direct avec les consommateurs, et de briser la « vitre sans tain » qui les sépare traditionnellement d’eux. Cette démarche répond donc à une envie de leur part, et constitue désormais une nécessité impérieuse. La révolution internet a transformé le rapport des consommateurs aux marques. Devenus exigeants et ultra-informés, ils ne veulent plus être de simples destinataires passifs. Ils souhaitent être impliqués dans l’élaboration des offres qui leur sont destinées. Pour les entreprises, ce nouveau paradigme signifie qu’elles sont constamment challengées, avec un droit à l’erreur de plus en plus restreint. Les marques doivent désormais écouter, interagir et co-créer avec leurs clients.
La révolution internet a transformé le rapport des consommateurs aux marques. Devenus exigeants et ultra-informés, ils ne veulent plus être de simples destinataires passifs. Ils souhaitent être impliqués dans l’élaboration des offres qui leur sont destinées
Pour les marques, co-construire, c’est d’abord réduire les risques ?
C’est une des clés. Cela leur permet d’être agiles, efficaces, en suivant les principes mêmes du design thinking : intégrer à la fois la désirabilité – celle des consommateurs -, ainsi que la viabilité du produit et sa faisabilité qui sont des impératifs pour la marque. Et ce en travaillant dans un cadre et un temps bien circonscrit.
Cela aide aussi les entreprises à renforcer l’engagement et la fidélité des consommateurs, en valorisant ceux-ci, dans une relation très horizontale. C’est ce que font parfois magistralement bien les marques qui se créent aujourd’hui. Via les réseaux sociaux, elles partagent leur ambition, leurs valeurs, et co-construisent ainsi directement avec les consommateurs qui se retrouvent dans celles-ci, et en deviennent parfois d’excellents ambassadeurs. Les plus grandes marques peuvent aussi être tentées d’appliquer ces recettes. J’ajouterai enfin, même si c’est peut-être une évidence, que la co-construction est une voie idéale pour accéder à des idées et des perspectives véritablement nouvelles. Et donc, pour les marques, de se différencier, de sortir des sentiers battus tout en s’appuyant sur des insights solides.
La co-construction est aussi une voie idéale pour accéder à des idées et des perspectives véritablement nouvelles. Et donc, pour les marques, de se différencier, de sortir des sentiers battus tout en s’appuyant sur des insights solides.
Venons-en aux facteurs clés et aux pièges possibles. Quel est selon vous LE grand écueil à éviter par les marques ?
Certainement la « fausse » co-construction ou la « co-construction-washing » si vous me passez l’expression. L’horizontalité de la relation, son caractère véritablement « win-win » sont des conditions essentielles pour réussir ces démarches. De même que la transparence, faute de quoi il n’y aura pas la confiance et l’engagement nécessaires des consommateurs. Il faut aussi éviter la sur-promesse, pour les mêmes raisons, le risque étant de dégrader la relation avec eux alors que l’objectif est précisément de la renforcer.
La « fausse » co-construction — ou la « co-construction-washing » si vous me passez l’expression — est le plus grand piège (…). Il faut aussi éviter la sur-promesse (…) le risque étant de dégrader la relation avec les consommateurs alors que l’objectif est précisément de la renforcer.
Mais d’autres pièges existent. Je pense en particulier à celui d’un manque d’investissement des équipes. Ne nous mentons pas, ces approches sont exigeantes pour les collaborateurs de l’entreprise. S’il n’est pas possible d’avoir un haut niveau d’implication, il est préférable de différer, et de réfléchir à comment l’obtenir. Il ne faut surtout pas se lancer dans des workshops parce que c’est dans l’air du temps. Cela doit s’inscrire dans des démarches où il y a un vrai engagement de l’organisation et un porteur de projet identifié
Voyez-vous d’autres principes importants à intégrer pour réussir la co-construction ?
Là encore, cela peut paraitre une évidence, mais la qualité des insights est décisive dans le succès de ces démarches. Une phase d’étude approfondie est donc essentielle, sans se limiter à des investigations qualitatives. Des pépites peuvent être présentes dans les études quantitatives, mais aussi dans les données de CRM dont dispose la marque, ou bien encore via l’écoute du web.
Avez-vous un schéma d’intervention type sur ces chantiers de co-construction ? Ou des partis-pris spécifiques, notamment dans la sélection des participants ou l’animation des workshops ?
L’ad hoc est très intégré dans l’ADN d’OpinionWay. Nous croyons beaucoup à la nécessité d’adapter les dispositifs en fonction de chaque casen tenant compte des objectifs, du contexte et des contraintes de chaque client et de ses équipes. Des éléments nous semblent néanmoins indispensables, à commencer par un bon cadrage du projet. Il est impératif d’être parfaitement au clair avec l’entreprise sur ses enjeux marketing, et donc sur la nature des décisions qui seront prises à l’issue de la démarche. Le second temps est la phase de collecte des insights, nous l’avons évoqué.
Il est impératif d’être parfaitement au clair avec l’entreprise sur ses enjeux marketing, et donc sur la nature des décisions qui seront prises à l’issue de la démarche.
Vient ensuite la sélection des participants, que ce soit côté consommateurs ou dans l’entreprise. S’agissant de celle-ci, la pluridisciplinarité est clé. Il faut réunir des gens qui vont à la fois pouvoir s’immerger dans le vécu des consommateurs et soulever les contraintes à intégrer, qu’elles soient stratégiques, logistiques, juridiques… Nous considérons par ailleurs que tout le monde a la capacité d’être créatif et de co-construire. Mais nous veillons d’une part à mobiliser des personnes à même d’exprimer leurs pensées et d’accepter celles des autres. Et nous utilisons les outils permettant de libérer au maximum leur créativité, là encore en nous adaptant au profil des participants. En ayant recours par exemple au principe de la visualisation ou du rêve éveillé, ou simplement au dessin.
Concernant le déroulé, j’ajouterai enfin que le processus doit nécessairement intégrer une phase de feedback à l’attention des participants. On ne peut pas appliquer l’horizontalité à moitié ! (rires)
Ces ateliers se font systématiquement en mode présentiel ?
Non. La crise du Covid nous a incités à renforcer l’usage du digital, et à découvrir de nouveaux avantages importants, ce qui nous amenés à les assimiler de façon pérenne dans notre boite à outils. Je ne pense pas qu’aux outils de visioconférence pour des échanges synchrones mais aussi les outils d’intelligence collective en ligne sont d’excellents supports. On peut aussi combiner cela avec des outils asynchrones qui apportent une autre dimension, une autre temporalité de réflexion.
Co-construire exige du temps, de l’énergie dans l’entreprise. Et il est extrêmement difficile de mobiliser des équipes marketing ou opérationnelles sur une journée entière ou même une demi-journée. Le digital nous a beaucoup aidés pour apporter la souplesse nécessaire, en donnant bien plus de latitude à travailler sur des sessions plus courtes et de façon itérative. On recueille, on confronte, on challenge, on resonde, c’est vraiment une combinaison gagnante ! Et du coup, échanger est possible même si tout le monde n’est pas disponible en même temps, charge à nous d’orchestrer le dialogue. Nous pouvons aussi moduler les outils en fonction des enjeux, avec des échanges relativement rapides lorsqu’on est sur du tactique, et en prenant plus de temps sur des problématiques stratégiques.
Co-construire exige du temps, de l’énergie dans l’entreprise. Et il est extrêmement difficile de mobiliser des équipes marketing ou opérationnelles sur une journée entière ou même une demi-journée. Le digital nous a beaucoup aidés pour apporter la souplesse nécessaire, en donnant bien plus de latitude à travailler sur des sessions plus courtes et de façon itérative
Qu’avez-vous le plus appris au travers des réussites ou éventuellement des échecs que vous avez pu connaitre sur ces chantiers de co-construction ?
L’échec, cela peut arriver. C’est de s’entendre dire par les équipes de l’entreprise « c’est super, mais on ne sait pas quoi en faire ! ». Le fait que cela patine au moment de la mise en œuvre est tout à fait contradictoire avec le principe même de la co-construction. Le plus souvent, cela pointe une faiblesse au moment du cadrage. Soit parce que la transparence a fait défaut, ou bien du fait d’un manque de rigueur. Il peut également y avoir une implication insuffisante de l’équipe, mais elle est généralement imputable à un manque d’alignement. Le cadrage doit être partagé aussi largement que possible, faute de quoi le sens de la démarche n’est que trop peu perçu. La nature humaine est ainsi faite, les gens n’acceptent le changement que lorsqu’ils voient bien le pourquoi et les avantages qui peuvent en résulter…
Avez-vous d’autres conseils importants à ajouter, en particulier à destination des équipes des annonceurs ?
Pour ce qui est de l’état d’esprit, adopter une mentalité « test and learn » me parait être un gage essentiel de succès. Procéder par itération entre la marque et les clients finaux est le principe de base sur lequel se sont appuyées les plus grands succès comme des Amazon, Zalando, 3M… Il me semble également important de bien définir les critères d’éligibilité des pistes d’innovation en amont des sessions de créativité. Cela permet d’accueillir les idées avec l’objectivité nécessaire, et d’éviter de distordre a posteriori le filtre de jugement.
Adopter une mentalité « test and learn » me parait être un gage essentiel de succès. Procéder par itération entre la marque et les clients finaux est le principe de base sur lequel se sont appuyées les plus grands succès comme des Amazon, Zalando, 3M…
Pour revenir un instant sur les participants aux workshops, notre conviction est que l’Intelligence Artificielle peut être un excellent invité Surprise ! Du fait qu’elle fonctionne par des logiques d’association – et que celles-ci peuvent parfois être insolites -, elle parvient à générer de très bons stimuli pour relancer la production d’idées.
Le dernier conseil que je formulerai est de savoir se donner le temps nécessaire. C’est particulièrement vrai pendant les workshops eux-mêmes, pour écouter réellement ce que les participants ont à dire. Mais aussi en amont, pour bien identifier les insights et les « digérer », et en aval, l’appropriation ne pouvant pas se faire en un claquement de doigts. Et ça l’est en réalité tout au long du projet, pour pouvoir se réadapter en cours de route si nécessaire.
POUR ACTION
• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Caroline Vigneront