Pour Delphine Parois (Strategir), s’il y a bien une certitude s’agissant de 2030, c’est que l’enjeu de la santé de la planète sera de plus en plus prégnant. Et que cela impactera toutes les parties prenantes, les consommateurs avec toutes leurs différentes casquettes et donc les entreprises et leur marketing, qui devront en passer par une transformation même si l’ampleur de celle-ci n’est pas connue d’avance. Les études marketing sont ainsi nécessairement concernées dans leur mission consistant à les accompagner au mieux.
MRNews : 2030 est un horizon proche. Mais est-ce si évident d’imaginer comment nous étudierons les consommateurs d’ici-là ? Quels changements devons-nous anticiper ?
Delphine Parois (Strategir) : Cela peut de prime abord sembler éloigné des études marketing, mais, s’il y a bien une certitude s’agissant des consommateurs — et de nous tous — à cette échéance de 2030, c’est que la planète sera différente de celle d’aujourd’hui. Le réchauffement climatique et la dégradation de la biodiversité sont inévitables. Tous les individus que nous sommes avec nos casquettes diverses et variées — celle de citoyens, de collaborateurs, de parents, de citadins… — allons subir les conséquences de ces phénomènes, avec des vagues de chaleur, des inondations, des effets sur la santé… Tout cela va nécessairement impacter nos vies et nos modes de consommation, et une transformation s’impose pour limiter les dégâts. Les études marketing sont donc concernées par ces enjeux sur la santé de la planète. Elles devront accompagner les entreprises dans cette transformation et les aider à se poser les bonnes questions. C’est ce qui nous a incités à lancer une série d’entretiens, pour les écouter et pouvoir ainsi mieux répondre à leurs besoins.
S’il y a bien une certitude s’agissant des consommateurs — et de nous tous — à cette échéance de 2030, c’est que la planète sera différente de celle d’aujourd’hui (…). Cela va nécessairement impacter nos vies et nos modes de consommation, et une transformation s’impose pour limiter les dégâts. Les études marketing sont donc concernées par ces enjeux sur la santé de la planète. Elles devront accompagner les entreprises dans cette transformation et les aider à se poser les bonnes questions.
Pouvez-vous nous en dire plus sur cette initiative et les enseignements clés que vous en tirez ?
Dans les entreprises que nous avons sollicitées, nous avons pris le parti d’interroger des tandems, composés de nos interlocuteurs habituels que sont les responsables Études, mais également des responsables RSE. Nous avons fait ce choix en considérant que ce sont ces derniers qui, le plus souvent, ont la meilleure vision de là où va l’entreprise. Et aussi parce qu’il y a une vraie synergie à construire entre ces deux services.
Avec ces entretiens, nous avons pris conscience que ces deux fonctions n’ont que relativement peu l’occasion de se parler, alors même qu’elles ont tout intérêt à le faire comme en a témoigné la richesse de leurs échanges. Nous avons pu également valider le fait que cette fonction RSE est désormais proche des directions générales des entreprises, et donc de leur stratégie, le paradoxe étant que la connexion avec le marketing est souvent imparfaitement établie, voire absente. La conséquence étant que les engagements RSE, qui peuvent être réels et importants au niveau de l’entreprise ou du groupe, ne sont que trop faiblement portés par la marque. C’est source de confusion pour les consommateurs qui, en toute logique, peuvent avoir bien du mal à s’y retrouver entre les intentions et les actes de la marque en question.
Quelles sont les implications pour les études marketing ?
Le constat clé que nous faisons est celui d’un énorme besoin de coopération. Entre les entreprises et leurs partenaires externes, sur des aspects de sourcing des produits et de distribution notamment. Mais aussi en interne entre les différentes équipes. Et bien sûr avec les consommateurs ! Les études ont naturellement un rôle à jouer dans ce contexte, y compris sur les enjeux de coopération interne, pour désiloter, créer le ciment nécessaire via des worshops, en s’appuyant sur la connaissance des marchés et des consommateurs. Nous pouvons ainsi être de vrais facilitateurs.
Le constat clé que nous faisons est celui d’un énorme besoin de coopération. Entre les entreprises et leurs partenaires externes (…). Mais aussi en interne entre les différentes équipes. Et bien sûr avec les consommateurs ! Les études ont naturellement un rôle à jouer dans ce contexte.
Il existe également côté entreprises un besoin d’être stimulées par ce qu’elles appellent des « chamboule tout », des consommateurs en avance de phase sur ces sujets, éventuellement avec une fibre militante, à même de pousser les équipes dans leur retranchement pour l’élaboration des offres sans pour autant tomber dans l’extrême. Et pourquoi pas aussi d’autres figures de la société comme des philosophes ou des sociologues. Mais il sera toujours nécessaire bien sûr de valider la viabilité et le potentiel de ces offres auprès du plus grand nombre. Là encore, nous pouvons pleinement jouer notre rôle.
Faut-il repenser les outils d’études ? Ou bien la priorité n’est-elle pas plutôt de faire évoluer les briefs émanant des équipes marketing des annonceurs ?
C’est très vrai, le brief est le point de départ ! Si les enjeux RSE ne sont pas présents d’une manière ou d’une autre dans ceux-ci, les études seront impuissantes. C’est un élément de réflexion que nous souhaitons intégrer, sans doute en mode pionnier, au point de lui consacrer un workshop prochain, annoncé au dernier Printemps des Études, sur le thème du « Brief de demain ». La problématique essentielle est d’aligner les enjeux marketing et ceux de la RSE. Les études sont là elles pour aider à élaborer les offres, étant entendu que s’impose un principe de co-construction avec les différentes parties prenantes que sont les consommateurs, l’entreprise et ses actionnaires, mais aussi la planète.
C’est très vrai, le brief est le point de départ ! Si les enjeux RSE ne sont pas présents d’une manière ou d’une autre dans ceux-ci, les études seront impuissantes. C’est un élément de réflexion que nous souhaitons intégrer (…)
Cela suppose également d’aller vers un marketing différent. Ce terme apparait souvent comme un gros mot, associé à l’idée de faire toujours dépenser et consommer plus. Mais on peut aussi imaginer un marketing « responsable », donnant envie aux consommateurs d’adopter des comportements plus vertueux pour la planète. Certaines marques sont emblématiques de cette démarche où la collaboration avec les consommateurs est très forte. Je pense à « C’est qui le patron », ou bien encore à Asphalte. J’utilise le terme « consommateur », mais en réalité ces marques ont précisément fait l’effort de s’intéresser à la pluralité des facettes des individus, ce sont plutôt des « partenaires »…
Cela suppose également d’aller vers un marketing différent. Ce terme apparait souvent comme un gros mot, associé à l’idée de faire toujours dépenser et consommer plus. Mais on peut aussi imaginer un marketing « responsable », donnant envie aux consommateurs d’adopter des comportements plus vertueux pour la planète.
Mais les outils des études marketing ne doivent-ils pas eux aussi évoluer ?
Nous nous sommes naturellement interrogés sur ce point… Mais, à la réflexion, il nous semble que la panoplie des outils disponibles est tellement variée aujourd’hui qu’elle est tout à fait à même de répondre aux questions soulevées par les enjeux de RSE. Cela n’aurait pas vraiment de sens d’en construire de nouveaux spécifiquement pour celles-ci. Mais c’est certainement l’occasion de mieux exploiter la puissance de certaines approches. Je pense au trade-off par exemple, qui est très efficace parce que d’une part il permet d’intégrer dans les offres des variables connectées aux enjeux de RSE. C’est le cas de l’origine des produits, des labels, des claims. Et, par ailleurs, il a l’immense avantage de mettre les consommateurs dans des situations de choix, et d’observer quels compromis ils font inconsciemment. On contourne les biais de la rationalisation. Nous pouvons ainsi voir jusqu’à quel prix les consommateurs sont prêts à aller quand on leur propose une offre avec différentes allégations autour de la responsabilité et, force est de constater que les résultats peuvent être très différents d’une catégorie à l’autre mais aussi d’une allégation à l’autre. Avancer de manière générale que « le prix est un frein » est un raccourci qui n’est pas totalement juste.
La prégnance de ces enjeux est aussi un encouragement à revenir vers des études à forte dimension qualitative, qui permettent de bien saisir le consommateur dans sa complexité, de savoir pourquoi il peut paraitre versatile ou pétri de contradictions …
On entend parfois ce discours selon lequel il ne sert à rien d’étudier le consommateur puisque celui-ci est contradictoire, voire menteur…
Cette vision me semble tout-à-fait inadaptée et même dangereuse. Bien sûr, il est clair que les consommateurs se retrouvent aujourd’hui souvent face à des injonctions paradoxales et à devoir faire des choix qui n’ont rien d’évident. On a tendance à considérer leur comportement comme un tout, alors qu’ils agissent en fonction d’une situation donnée, sachant qu’ils font face à une multitude de situations. Si l’on n’a pas le contexte de la situation, on risque de passer complètement à côté et encore une fois de faire un raccourci. La complexité des décisions prises par le consommateur fait partie de la donne, et elle ne fera que s’amplifier. Il faut l’accepter et composer avec celle-ci pour pouvoir agir avec le plus de pertinence possible. Cela renforce à mon sens l’intérêt des études les plus à même de décoder celle-ci. C’est le cas des démarches qualitatives, qui ont certainement de beaux jours devant elles. Mais aussi et plus largement de tous les dispositifs de veille, pour entendre les signaux faibles et aider ainsi le marketing à anticiper et s’adapter au mieux.
La complexité des décisions prises par le consommateur fait partie de la donne, et elle ne fera que s’amplifier. Il faut l’accepter et composer avec celle-ci pour pouvoir agir avec le plus de pertinence possible. Cela renforce à mon sens l’intérêt des études les plus à même de décoder celle-ci.
Quelles sont les conséquences de ces mutations pour un institut comme Strategir ? Cela peut-il vous mener à changer de modèle économique ?
Nous devons nous appliquer à nous-mêmes ce que l’on aimerait que nos clients fassent. Cela signifie qu’il y a un travail clé de sensibilisation à ces enjeux en interne, en tenant compte du fait que nos collaborateurs peuvent y être plus ou moins réceptifs, et c’est bien normal. Cela se fait nécessairement sur le temps long. Il est aussi très important que nous travaillions en équipe avec nos clients ou confrères sur ces sujets, autour de chantiers concrets. Par exemple sur la question des meilleurs KPI à proposer aux entreprises au service de leur propre CSRD. Ou sur les opportunités de transformation des entreprises qu’ouvre la composante réglementaire.
Nous n’avons pas réponse à tout, toutes ces réflexions sont « in progress » chez Strategir. Mais le fait est que nous avons fortement progressé en légitimité sur ces sujets, qui font l’objet d’un réel investissement de notre part. Cela ne changera sans doute pas notre modèle économique, qui est de réaliser des études pour aider les entreprises à prendre les meilleures décisions dans le monde tel qu’il évolue. Mais cela peut néanmoins orienter la nature des chantiers sur lesquels nous sommes sollicités.
Une dernière question enfin. L’exercice de se projeter ne serait-ce qu’à 2030 n’est pas si évident. Sur quoi mettriez-vous des « jokers » ?
Une des grandes questions qui a un énorme impact pour tout le monde est de savoir à quelle vitesse va évoluer la santé de la planète, sachant qu’on est en passe de dépasser la 7ème frontière planétaire sur les 9. En tant que consommateurs, allons-nous devoir subir très vite des restrictions radicales ? Ou bien aurons-nous encore des marges de manœuvre ? Certains experts livrent des scénarios pessimistes, d’autres estiment qu’il est encore temps pour que notre futur soit soutenable. Nous devrons tous composer avec l’hypothèse qui s’imposera. Les entreprises ne mettront pas en œuvre le même marketing en fonction de cela, et nous pas les mêmes études pour les aider !
POUR ACTION
• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Delphine Parois