# Les études socio-culturelles servent-elles encore à quelque chose ? (volet 2)
Ines Bizot - CEO June Marketing - Interview dossier études socio-culturelles

"Le socio-culturel est incontournable, mais il doit être désacralisé"

Inès Bizot et Ilana Dupeyron
CEO et Lead Consultant - June Marketing

2 Déc. 2020

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Pour Inès Bizot et Ilana Dupeyron (June Marketing), le prisme du socioculturel est incontournable. Mais encore faut-il éviter un piège assez classique : celui de le considérer comme un objet fascinant certes, mais purement intellectuel, au risque de se retrouver plus paralysé qu’inspiré. Elles invitent donc les équipes marketing à se focaliser sur les manifestations concrètes de ces tendances dans les comportements des consommateurs, pour identifier ainsi les meilleurs leviers à actionner sur les enjeux d’innovation ou de branding. 

MRNews : Même si les définitions gravitent autour de quelques notions assez claires, chacun a sa façon d’exprimer ce qu’est le socio-culturel. Quelle serait la vôtre ?

Ilana Dupeyron (June Marketing) : Notre définition n’a sans doute rien de très original, une tendance socio-culturelle est tout simplement une observation de ce qui se passe dans la société. Mais, dans la vision qui est la nôtre, c’est un phénomène qui impacte réellement le comportement des consommateurs et plus largement des gens. Elle se manifeste. Et c’est cela qui nous intéresse plus précisément, c’est d’observer ces manifestations tangibles, concrètes. Pour les équipes marketing, bien souvent, le terme de socioculturel renvoie à des choses très « intello », leur réflexe étant de se dire qu’elles n’ont pas le loisir de s’intéresser à ça. C’est trop de temps, trop de complexité, pour un résultat très incertain pour action. Notre parti-pris est de faire en sorte que ces éclairages soient accessibles, de les « démocratiser » un peu et surtout d’aider à les rendre actionnables.

Notre baromètre annuel met en évidence une relative décroissance de la demande pour ces éclairages. Partagez-vous ce constat ? 

Inès Bizot (June Marketing) : La demande d’études de ce type est rarement explicite de la part de nos clients, sauf cas particulier, lorsqu’il est besoin par exemple de repenser assez globalement des processus d’innovation, ou bien de travailler sur une tendance bien précise. Mais ces éclairages socio-culturels sont fondamentaux et même indispensables de notre point de vue. Ce qui nous amène à les inclure de manière quasi-systématique dans les projets que nous réalisons. Nous considérons que c’est une façon d’apporter plus de richesse et de profondeur à nos réponses. Cela nous permet de mieux contextualiser les problématiques marketing, et aussi de mieux expliquer pourquoi telle orientation nous parait préférable à telle autre, y compris sur des sujets très opérationnels. Cela s’inscrit dans un parti-pris important pour June, qui consiste à croiser tous les éclairages qui nous semblent pertinents pour répondre aux questions qui nous sont posées. Le second parti-pris, Ilana l’a évoqué, étant de toujours privilégier des connaissances activables. Nous ne sommes pas des sociologues. Au fond, notre rôle n’est pas de détecter des tendances « générales », mais plutôt de montrer comment elles se traduisent dans les comportements des consommateurs, sur des catégories bien précises de produits ou de services. Ou bien de pointer la tendance de fond à laquelle se raccroche un comportement donné, celui-ci pouvant évoluer en fonction du contexte que nous vivons.

Sur quoi repose votre connaissance des tendances socio-culturelles les plus pertinentes pour les enjeux marketing de vos clients ? Disposez-vous d’un observatoire spécifique ?

IB : C’est une option que nous n’avons pas retenue. Elle ne nous a pas paru faire sens compte tenu de tous les matériaux déjà disponibles, notre valeur ajoutée n’étant pas dans la détection des tendances, mais plutôt dans la traduction de celles-ci pour nos clients. D’autant que nos équipes ont ce background. Nous avons été formées à l’école des Cofremca et des autres spécialistes du socio-culturel, et transmettons ces connaissances à nos collaborateurs au fur et à mesure de leur progression. Mais cette exploitation des tendances socio-culturelles est complètement au coeur de nos process. Nous nous nourrissons en permanence d’une veille sur ces sujets, travaillons avec des communautés de Trend-setters (Trend Factory). Et lorsque nous travaillons sur une catégorie donnée, notre premier réflexe est d’aller voir comment les tendances pertinentes pour celle-ci se manifestent dans d’autres univers.

ID : Cette composante de benchmark est fondamentale dans notre façon de travailler. Le socioculturel est une des briques essentielles de cette démarche systématique d’hybridation des éclairages et des données à laquelle nous procédons. Avec les études quali et quanti, la sémiologie, ce qui nous permet d’identifier les codes et les registres utilisés, et l’analyse de cas concrets de marque. Ces différents regards nous aident notamment à comprendre comment un acteur peut faire évoluer son positionnement. Ce benchmark fait partie de nos livrables de base, et constitue un point de différenciation essentiel pour June.

Une fois ce benchmark réalisé, quels éléments de process permettent de maximiser la bonne exploitation de ces éclairages, et la transformation en décisions et en actions ?

IB : C’est là aussi un point clé. L’écueil à éviter est celui de ces grandes messes où l’on peut prendre beaucoup de plaisir à découvrir des tendances socio-culturelles, mais où l’on est frustré de n’en rien faire. Une partie essentielle de nos projets est consacrée à des workshops, dont l’objectif est précisément d’accompagner les équipes des entreprises dans l’activation de ces inputs et de ces tendances. 

ID : Cette activation, qui est vraiment clé, peut être menée de différentes façons. A un niveau stratégique pour réfléchir à une plateforme de marque et à un positionnement. Ou bien dans une perspective d’innovation, très opérationnelle, pour définir des offres ou des communications. 

Ces deux modules que constituent ce benchmark et ces workshops apparaissent-ils comme des lignes budgétaires précises dans les devis que vous soumettez à vos clients, ou bien sont-ils intégrés dans une prestation plus globale ?

IB : Aujourd’hui, ils sont bien identifiés en tant que tels. Ce n’était pas le cas en effet il y a 6 ou 7 ans. Nous avons évolué sur ces sujets, à partir d’une réflexion sur ce qui fait notre valeur ajoutée et notre capacité à nous différencier des autres acteurs présents sur le marché. La prise de conscience a été progressive, et il peut arriver que le débat revienne parfois en interne… Mais oui, nous assumons que le planning stratégique et le conseil font bien partie intégrante de notre savoir-faire, et c’est une des raisons clés qui fait que nos clients se tournent vers nous.

Vous travaillez sur de nombreux secteurs d’activité. Quels sont ceux pour lesquels l’importance des composantes socio-culturelles est le plus sous-estimée ?

IL : Je dirais spontanément le domaine du Luxe. Il n’y a bien sûr pas de règles absolues, mais certaines marques de cet univers ne veulent pas subir le diktat des tendances, peut-être par crainte que cela puisse brider leur créativité. Alors qu’elles auraient sans doute intérêt à les prendre plus en compte. La culture est très différente dans l’univers des FMCG, qui est hyper concurrentiel, et très à l’écoute des tendances.

Voyez-vous des exemples de tendances socio-culturelles qui auraient fortement surpris vos clients ?

ID : Nous avons mené un chantier — que nous avons nommé Muthologia — pour identifier les tendances les plus structurantes associées à cette période que nous avons vécue, avec le pendant et l’après-confinement de mars-avril. 4 tendances ont émergé. Gaïa, avec le courant « écolo-green » et l’émergence des marques contributives. Néo, le règne du digital et comment il transforme notre quotidien. Eros, qui s’entend aisément : la définition du carpe diem 3.0. Et enfin Robinson, qui s’inscrit dans une recherche de ce qui est le plus essentiel. Lorsque nous avons présenté les quantifications de ces tendances dans 7 pays, auprès de plus de 50 000 personnes, cela a été une vraie surprise pour les marques de voir l’importance de ce dernier courant Robinson. Et de mesurer jusqu’à quel point leurs actions — qui sont très souvent dans la sophistication et l’amplification de l’offre — sont décalées par rapport aux attentes de simplicité. Elles se sentaient prises de court, un peu impuissantes à répondre à ce besoin de retour à l’essentiel pourtant largement répandu dans la population….

Voyez-vous un dernier point à ajouter. Ou peut-être un conseil à donner aux entreprises sur la façon d’intégrer ces éclairages ?

IB : Notre grande conviction est que l’éclairage du socioculturel est indispensable, mais qu’il faut le désacraliser. C’est un prisme que nous utilisons systématiquement, mais avec nos partis-pris, qui sont ceux de la rapidité et de l’actionnabilité. La séniorité des équipes est une condition essentielle pour y parvenir de notre côté, ce qui correspond aussi à des choix que nous avons faits. Cela induit également chez nous un enjeu important de formation, de partage des connaissances et des signaux faibles. Notre équipe planning stratégique est très active sur ce terrain. 

Côté annonceur, je pense que la clé est dans l’expérimentation. La vraie difficulté n’est sans doute pas de connaitre les tendances ; mais plutôt de sélectionner celles qui sont réellement pertinentes en fonction du contexte de l’entreprise. Et d’en tirer des leviers actionnables. C’est tout le sens de l’accompagnement que nous proposons. 


POUR ACTION

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