« Le bon marketing ne se voit pas » – Interview d’Emmanuel Malard, auteur de « Les 50 petits trucs (infaillibles) du marketing »

7 Juin. 2016

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Peut-on « modéliser » la réussite ? Sans doute jamais complètement, dans le marketing comme dans tout autre domaine… Mais du moins peut-on décrire un certain nombre de cas emblématiques — de grandes comme de « petites » marques — permettant au lecteur de saisir des recettes les plus indispensables à connaitre, et de s’approprier ainsi « les notions qui font le marketing d’aujourd’hui ». C’est précisément ce que fait avec simplicité et pédagogie Emmanuel Malard, directeur des Etudes de Samsung Electronics France et auteur de « Les 50 petits trucs (infaillibles) du marketing« .
Il répond ici à nos questions en toute franchise, et y compris à celle de savoir ce que l’écriture de ce livre a changé dans son regard sur la pratique des études marketing…

 

MRNews : Vous présentez une sorte de contrepoint à l’ouvrage de Catherine Heurtebise, consacré aux plus beaux flops du marketing, en vous intéressant à des réussites exemplaires. Votre livre, c’est donc un peu le CQFD d’un certain nombre de réussites ! Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire ce livre ?

Emmanuel Malard : Il est  vrai que le livre traite pour l’essentiel de réussites marketing, mais ce qui a motivé son écriture, c’est avant tout le souhait d’aborder toutes les notions qui font le marketing aujourd’hui : en effet chacune des réussites traitées (il y en a cinquante donc !) est liée à une approche spécifique, que l’on désigne souvent par son appellation anglo-saxonne : les licenses, l’UGC (user generated content), le naming, le fan-service, le low-cost, le retailtainment …

En partant de 50 cas de marques, j’aborde ainsi 50 notions qui font le marketing d’aujourd’hui, des plus classiques comme le premium et les mascottes, au plus récentes comme l’économie collaborative, le storytelling ou le free-to-play ! En bref, un condensé de marketing qui est volontairement accessible car je souhaitais vraiment qu’il puisse être lu par tous, tant les marketers que les étudiants ou les consommateurs curieux de pouvoir décrypter la stratégie des marques. Et ce livre constitue un tour d’horizon des pratiques de la profession d’aujourd’hui, avec ses marques incontournables certes, mais aussi quelques surprises : Plus belle la vie et Cochonou voisinent ainsi avec Apple et Nespresso !

En tant que marketeur, de quelle(s) réussite(s) auriez-vous le plus aimé être l’auteur ou le contributeur ?

La campagne Star Wars orchestrée par La Poste à l’automne dernier est un très bel exemple de partenariat qui a du sens sur un lancement global. La Poste profite d’une licence mythique qu’elle décline intelligemment sur ses produits, pour bénéficier du réflexe ‘collectionneur’ des fans de la saga. Je ne suis d’ailleurs pas le dernier à être allé acheter mes timbres Dark Vador ! Et en communication, La Poste se permet de jouer un peu avec les codes d’un univers pourtant réputé très strict en termes de « guidelines », via un film viral plein d’humour. Et Disney peut se targuer d’un partenariat très ancré localement, avec une marque historique française. Au final, quelle marque ne rêve pas de bénéficier du réseau et des contacts que propose la Poste ? Ici c’est Star Wars qui en profite et diffuse la Force à travers 17 000 bureaux de poste ! Dans un autre registre, la réussite du Slip Français est un bel exemple d’audace, d’humour et de savoir-faire avec une marque qui réussit le tour de force d’être drôle sans être vulgaire et de nouer des partenariats avec des marques comme St James ou Agnès b.

Question plus difficile peut-être : quelle réussite vous semble la plus désespérante ?

Franchement, quand bien même c’est une réussite marketing indéniable, je pense que le jeu Candy Crush a fait beaucoup de dégâts et pour l’image des jeux vidéos et pour la vie de bien des consommateurs, avec une mécanique addictive et poussant à la consommation. Ce modèle économique est un peu une fuite en avant, rendant captifs les clients avant de les inciter de plus en plus fortement, via des micro-transactions, à participer financièrement à leur progression dans un jeu on ne peut plus basique. Mais ça a très bien marché et l’éditeur de Candy Crush (King) a été racheté par un grand nom du jeu vidéo (Activision). Dans un autre registre, des marques comme Nespresso ont pu aussi atteindre un seuil de saturation auprès des consommateurs et s’en sont sorties en se renouvelant, en faisant preuve de plus d’ouverture et d’originalité. Dans le cas de Nespresso, s’engager sur le recyclage des dosettes et sortir des « crus » en édition limitée.

Vous montrez que les « trucs infaillibles » n’ont pas été inventés que par les seules grandes marques. Quel est le truc qui vous a le plus bluffé venant d’une petite marque (ou d’une marque sortant du paysage des grandes marques connues) ?

Il n’y a ni fatalité ni bonne ou mauvaise marque du point de vue des pratiques marketing effectivement. Et toute marque peut en fonction de son ADN trouver le terrain d’expression marketing le plus adéquat pour trouver son public. Parmi les marques traitées dans mon ouvrage, on peut identifier à cet égard, les exemples de Cochonou ou même de Prince de Bretagne, qui sont assez édifiants et montrent une vraie volonté d’aller chercher le consommateur là où il se trouve et à un moment de consommation. Les radios en général et Europe 1 en particulier mettent en place des stratégies de communication originales et très visuelles, s’agissant d’un média où tout repose sur la voix. Enfin, Plus Belle la Vie est également devenue une industrie bien rôdée, très réactive et experte du placement produit, un retour aux fondements du soap opera en somme !

Dans votre ouvrage, vous n’éludez pas la mauvaise image du marketing. Et vous dites en substance qu’il n’y a pas de fatalité à ce que le marketing ait meilleure presse. Que doit-il principalement faire pour cela ?

Je pense que le marketing doit avant tout rester à sa place et faire preuve d’une certaine humilité. Dans le livre, j’évoque ainsi quelques exemples, de Michel & Augustin au Slip Français en passant par Innocent ou Monoprix, d’un marketing  qui ne donne pas l’impression de se prendre au sérieux et qui se révèle très efficace. Le bon marketing ne se voit pas, les consommateurs ne sont pas dupes et sanctionnent de toute façon les actions jugées « trop marketing ». Le marketing peut aussi être généreux, c’est un bon moyen de faire passer les messages et de réconcilier les consommateurs avec leurs marques. Je me rappelle que pour l’opération Launching People de Samsung, qui consistait à accompagner des consommateurs dans leurs projets personnels ou professionnels – et leur montrer que nos produits pouvaient les aider à se réaliser -, l’initiative avait été applaudie durant les focus group de pré-test, là on se dit qu’on est dans la bonne direction !

Ecrire un livre, c’est partager auprès d’un public une vision, une analyse. Mais c’est aussi souvent une occasion d’apprendre soi-même, en s’obligeant à un examen plus attentif, plus scrupuleux. Qu’avez-vous appris en écrivant ce livre ?

C’est d’abord l’occasion de mettre en forme et sur papier l’ensemble des notions que l’on maitrise, des cas que l’on connait, du savoir qu’on finit par acquérir en étant en veille sur cette vie des marques qui est passionnante. Ensuite, c’est un peu d’abnégation, car il y a un monde entre vouloir écrire un livre et le terminer ! Enfin, c’est s’apercevoir que l’on a couvert qu’une partie des sujets que l’on voulait traiter et je m’aperçois que j’ai préparé suffisamment d’éléments pour rédiger un tome 2 qui irait plus loin dans l’univers du marketing digital (de l’incontournable DMP au retargeting en passant par le trueview), toujours dans ce souci d’expliquer simplement au plus grand nombre avec forces exemples ce qui est en train de se jouer autour de nous. Si mon éditeur me lit …  

Est-ce que la rédaction de cet ouvrage vous incite à faire votre métier de Market Researcher différemment ?

Il faut changer les pratiques du market research, c’est une certitude. La fonction études a perdu non seulement le monopole des data, mais aussi celui des études, avec l’émergence de nouveaux acteurs média entre autres, qui intègrent celles-ci dans leur offre. Quant à l’expertise statistique, elle est bien moins importante qu’auparavant.  Il faut dorénavant agrandir le scope du market research pour intégrer des expérimentations « live » et ne plus se cantonner à notre rôle de laborantin. Les communautés de consommateurs vont tendre à moyen-terme vers cette nouvelle approche et sortir de leur rôle purement « étude » pour s’agrandir et intégrer les campagnes marketing, les lancements produits, un peu dans le sens de l’initiative de Leroy Merlin que je mentionne dans l’ouvrage.

Le deuxième enseignement de cet ouvrage, c’est la vitesse. Il y a un vrai changement de paradigme, le paysage médiatique et la force du digital favorise l’installation rapide de nouvelles marques et de nouvelles pratiques, bousculant d’autant des acteurs plus établis. En très peu d’années d’existence, Netflix a déjà opéré plusieurs virages stratégiques, en abandonnant ses activités historiques (l’envoi de dvd à domicile), en réduisant son offre de films pour se concentrer sur les séries, en devenant producteur de contenus … Côté études, c’est une injonction à faire vite et bien, et à se situer sur le terrain de l’agilité et de l’anticipation pour identifier rapidement les tendances, les pratiques disruptives et les mouvements qui agitent la vie des marques.


 POUR ACTION 

• Echanger avec les interviewés : @ Emmanuel Malard

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